Veille juridique mars 2022

Chaque mois, le CAUE vous propose une veille juridique dans ses domaines de compétences, architecture, urbanisme et environnement. Elaborée par le juriste et l'ingénieure écologue du CAUE, elle donne une vision des dernières évolutions en matière de réglementation. Ce mois-ci entres autres, les questions de réception de chantier, les modifications de PC ou encore la responsabilité des constructeurs.
 
 

Evaluation environnementale : une nouvelle procédure pour les petits projets

Evaluation environnementale
Dans une décision du 15 avril, le Conseil d’Etat avait annulé le décret du 4 juin 2018 en tant qu’il ne prévoyait pas de dispositions permettant qu’un projet susceptible d’avoir une incidence notable sur l’environnement pour d’autres caractéristiques que sa dimension puisse être soumis à une évaluation environnementale.

Pour corriger cela, un nouveau décret « petits projets », situés en deçà des seuils de la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement, est paru au Journal officiel du 26 mars. Les dispositions de ce nouveau décret sont applicables aux premières demandes d’autorisations ou déclarations d’un projet déposées à compter de sa date d’entrée en vigueur.
Ce décret crée un nouvel article R. 122-2-1 dans le Code de l’environnement, qui offre deux possibilités :

  •  l’autorité compétente soumet à l’examen au cas par cas tout projet, y compris de modification ou d’extension, situé en deçà des seuils fixés à l’annexe de l’article R. 122-2 et dont elle est la première saisie, que ce soit dans le cadre d’une procédure d’autorisation ou d’une déclaration, lorsque ce projet lui apparaît susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine.

Dans ce cas, l’autorité compétente pour la première demande d’autorisation ou déclaration déposée relative au projet informe le maître d’ouvrage de sa décision motivée de soumettre le projet à examen au cas par cas, au plus tard quinze jours à compter du dépôt du dossier de cette demande ou déclaration. Le maître d’ouvrage saisit alors l’autorité en charge de l’examen au cas par cas.

  •  le maître d’ouvrage peut, de sa propre initiative, saisir l’autorité chargée de l’examen au cas par cas, de tout projet situé en deçà des seuils fixés à l’annexe de l’article R. 122-2.

Le décret précise la question des délais lorsque le préfet soumet le projet à un examen au cas par cas en application des dispositions du nouvel article R. 122-2-1 dans le délai de quinze jours à compter de la délivrance de l’accusé de réception. L’article 8 du décret modifie quant à lui la partie réglementaire du Code de l’urbanisme, relative aux délais d’instruction des demandes des permis et des déclarations.

Décret n° 2022-422 du 25 mars 2022, JO du 26 mars

Pas de pointillisme dans la réception des travaux

Chantier, réception, garanties
Issu de la loi du 4 janvier 1978, l’article 1792-6 du Code civil pose le principe d’une réception unique pour tous les corps de métier. Cependant, il arrive fréquemment, en cas d’ouvrage important, que plusieurs réceptions aient lieu au fur et à mesure de l’achèvement des différentes phases de la construction. Bien que cette pratique ne corresponde pas à l’esprit de la loi de 1978, ces réceptions partielles, non expressément prohibées par la loi, sont licites.

Si la Cour de cassation valide également cette pratique, elle en limite toutefois la portée, en écartant la possibilité d’une réception partielle à l’intérieur d’un même lot, en raison du principe d’unicité de la réception.
Dans cette affaire, se plaignant de désordres et de l’inachèvement des travaux, les propriétaires d’un hôtel et son exploitant avaient assigné les constructeurs et leurs assureurs respectifs. La Cour de Cassation avait alors jugé que la réception partielle intervenue suivant procès-verbal du 15 juillet 2004 ne valait pas réception au sens de l’article 1792-6 du Code civil au motif qu’elle n’avait pas été effectuée par lots, mais qu’elle concernait les travaux de rez-de-chaussée et du premier étage, sans autre précision. Le constructeur arguait qu’une réception partielle ne se limitait pas à une réception par lot, et qu’elle pouvait aussi porter sur tout un ensemble cohérent, ce que constituaient précisément les travaux du rez-de-chaussée et du premier étage. Son pourvoi a été rejeté au motif que « la cour d’appel, devant laquelle il n’était pas soutenu que les travaux du rez-de-chaussée et du premier étage constituaient des tranches de travaux indépendantes ou formaient un ensemble cohérent, a pu en déduire que la réception partielle invoquée ne valait pas réception au sens de l’article 1792-6 du Code civil ».

Avec cette solution, la troisième chambre civile conforte sa position selon laquelle la réception partielle d’un même marché ou d’un même lot n’est pas envisageable en raison du principe d’unicité de la réception et des effets qui y sont liés, à savoir la fin des contrats d’entreprise et le transfert des risques et de la garde, à moins que le marché puisse être scindé en un « tout cohérent ». Le lot ou la tranche de travaux ou de bâtiment peuvent donc faire l’objet d’une réception partielle dès lors qu’ils sont un ensemble cohérent. Permettre une réception qui porterait sur le détail des éléments constitutifs de l’ouvrage, rendrait l’opération compliquée et sujette à d’infinies contestations au regard de la gestion des points de départ des différents délais de garantie. Bien que la notion d’ensemble cohérent se précise litige après litige, ses contours restent toujours flous.

C.Cass. 3e civ., 16 mars 2022, n°20-16.829, n°254 FS-B

Un PC validé pour un projet mixte, modifié en cours d'instance
pour présenter une destination agricole

Permis de construire, régularisation, changement de destination
L’ordonnance du 18 juillet 2013 a habilité le juge administratif à régulariser en cours d’instance un PC illégal. La Cour Administrative d’Appel de Marseille a récemment fait usage de cette possibilité au profit d’un projet de construction agricole dont l’autorisation avait été contestée par des tiers.

Les bâtiments et installations à créer, d’une superficie totale de 3 229 m², devaient inclure un espace de restauration et de dégustation de 160 m². Conformément à une jurisprudence constante, les juges du fond ont considéré que cet espace n’avait pas de destination agricole et n’était au surplus pas nécessaire à l’activité de l’exploitant. L’illégalité de cette partie du projet était donc avérée au regard des exigences du classement en zone agricole.
La transformation du local litigieux en un espace de vente directe des fruits et légumes de l’exploitation a toutefois permis d’éviter l’annulation du PC. En effet, la destination agricole ne faisait alors plus de doute, la loi ELAN ayant conforté la possibilité d’implantation, en zones agricole ou naturelle et forestière, des installations et constructions nécessaires à la commercialisation des produits agricoles.
En outre, le projet n’était pas remis en cause dans sa conception globale puisque seuls 130 m² étaient concernés. A cet égard, il faut rappeler que la régularisation peut être mise en œuvre y compris si elle conduit à revoir l’économie générale d’un projet dès lors que sa nature même reste inchangée.

CAA Marseille, 25 janv. 2022, n°19MA03569

Responsabilité des constructeurs : que doit prouver l'acquéreur ?

Chantier, responsabilités
Le caractère apparent d’un désordre lors de la réception de l’ouvrage est déterminant pour l’application de la garantie décennale prévue aux articles 1792 et suivants du Code civil. En effet, seuls les désordres cachés seront réparés sur ce fondement. Pour qu’un désordre soit considéré comme apparent, il faut qu’il ait été connu du maître de l’ouvrage lors de la réception des travaux. Le caractère visible s’apprécie in concreto, eu égard à la compétence technique du maître de l’ouvrage.

Dès lors, se pose la question de la charge de la preuve du caractère caché du désordre. Selon une jurisprudence constante en la matière, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rappelle que c’est au demandeur (maître de l’ouvrage, acquéreur, sous, acquéreur) qui agit sur le fondement de l’article 1792 du Code civil de rapporter la preuve que les conditions d’application de ce texte sont réunies.
En l’espèce, un maître de l’ouvrage avait confié à une entreprise la construction d’un bâtiment à usage professionnel, avant que la propriété de l’immeuble ne soit transférée par la suite et les locaux donnés à bail. Le nouveau propriétaire et son locataire, après avoir relevé différentes malfaçons et non-conformités, avaient assigné le constructeur aux fins d’indemnisation de leurs différents préjudices. Le constructeur, condamné en appel à verser une certaine somme au titre de la non-conformité des bois des terrasses extérieures, s’était pourvu en cassation. La cour d’appel avait, en effet, estimé qu’il n’avait pas rapporté la preuve du caractère apparent de la non-conformité pour le maître de l’ouvrage profane au jour de la réception.

L’arrêt est censuré au visa de l’article 1353, alinéa 1er du Code civil. La Cour de cassation, conformément au droit commun, rappelle le principe suivant lequel c’est à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver. Il appartient donc à l’acquéreur de l’ouvrage qui agit sur le fondement de la responsabilité décennale du constructeur, de rapporter la preuve du caractère caché des désordres lors de la réception. La cour d’appel ne pouvait, sans inverser la charge de la preuve, juger que cette obligation incombait au constructeur.

Cass. 3e civ., 2 mars 2022, n°21-10.753, n°212 FS-B

Pas de QPC au sujet de l'empreinte carbone des constructions dans la RE2020

Règlementation environnementale, construction
A la lecture du dispositif législatif et réglementaire de la RE2020, les pouvoirs publics, même s'ils s'en défendent, semblent avoir fait la part belle aux produits de construction vertueux, notamment les matériaux biosourcés comme le bois. Il n'est donc pas étonnant que certains acteurs des autres filières industrielles du secteur du bâtiment (béton, tuiles, briques, construction métallique, etc.) soient tentés de remettre en cause les outils juridiques mis en place pour diminuer l'empreinte carbone des constructions.

Les fédérations, associations et syndicats, qui sont à l'origine de la saisine des Hauts magistrats, contestent la validité de ces dispositions, qui consacrent la nécessité du stockage temporaire du carbone dans les matériaux sans préciser les modalités de prise en compte de ce stockage.
Selon eux, le législateur a établi une différence de traitement entre la filière bois et les autres filières et matériaux, en favorisant le recours au bois. Ils considèrent que la nouvelle réglementation ne prend pas réellement en compte l'empreinte carbone du bois. Même s'ils reconnaissent que les bâtiments utilisant ce matériau émettent moins de Gaz à Effet de Serre (GES) pendant leur durée de vie, les effets négatifs sur les forêts pour produire le bois et la libération massive de GES lors de la démolition ou destruction des biens seraient de nature à porter atteinte, notamment pour les générations futures, au droit de chacun de vivre dans un environnement sain et équilibré.

Le Conseil d'État a toutefois rejeté l'ensemble des griefs avancés par les parties et n'a donc pas renvoyé la QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) au Conseil constitutionnel.
Pour les juges, il y a lieu de réaliser une analyse de l'empreinte carbone pendant toute la vie du bâtiment (analyse du cycle de vie - ACV), comme le précisent expressément les articles L. 171-1 et L. 171-2 du CCH. Il faut donc prendre en considération les émissions de GES non seulement au moment de la destruction des biens mais également lors du processus de fabrication et d'acheminement des matériaux de construction.
En imposant une analyse à tous les types de construction, le législateur s'est seulement contenté d'introduire une exigence de résultats minimaux en matière de stockage temporaire du carbone et des émissions produites à sa libération. Cette mesure s'applique indifféremment à tous les constructeurs, les dispositions législatives n'identifiant aucun matériau donné. Les articles contestés, qui garantissent le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, ne portent pas atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant la loi.

Le grief tiré de l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre est également écarté. L'obligation de limiter l'impact du bâtiment sur le changement climatique résultant de la réglementation environnementale n'impose pas aux constructeurs de recourir tout particulièrement à un matériau donné. Les professionnels ne sont, d'ailleurs, pas non plus obligés d'intégrer une proportion de matériaux identifiés dans le bâti.

Par conséquent, selon le Conseil d'État, l'atteinte qui pourrait être portée à la liberté d'entreprendre n'est pas manifestement disproportionnée par rapport aux enjeux de protection de l'environnement. Le grief lié à la méconnaissance de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne présente donc pas de caractère sérieux justifiant un renvoi de la QPC.

Conseil d'Etat, 29 mars 2022, n°457143

 

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