Veille juridique avril-mai 2022

Chaque mois, le CAUE vous propose une veille juridique dans ses domaines de compétences, architecture, urbanisme et environnement. Elaborée par le juriste et l'ingénieure écologue du CAUE, elle donne une vision des dernières évolutions en matière de réglementation.

 

 

Quelle prescription pour le recours d'un maître de l'ouvrage public contre un constructeur ?

Recours, construction
En l’espèce, un maître d’ouvrage public avait été définitivement condamné à verser 660 218 euros à l’entrepreneur titulaire du lot charpente métallique pour divers surcoûts, notamment liés à la modification du plan constructif initial. Estimant que les manquements ayant entraîné sa condamnation étaient exclusivement imputables au groupement d’entreprises chargé de la maîtrise d’œuvre, il avait obtenu, en appel, la condamnation de l’un des membres du groupement au paiement intégral de la somme réclamée. Ce dernier s’est pourvu en cassation, reprochant au juge d’appel d’avoir écarté l’application du délai de prescription de cinq ans, prévu par l’article 2224 du Code civil au profit de celui, décennal, de l’article 1792-4-3. Son pourvoi a été rejeté.

L’article 1792-4-3 du Code civil dispose que « en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux ».
Le Conseil d’État précise que ces dispositions, figurant dans une section du Code civil relative aux devis et marchés et insérées dans un chapitre consacré aux contrats de louage d’ouvrage et d’industrie, ont vocation à s’appliquer aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants.
Dans ce cas, l’action en responsabilité contractuelle sur laquelle la Cour Administrative d’Appel s’est prononcée était dirigée par le maître de l’ouvrage contre certains membres du groupement de maîtrise d’œuvre ayant la qualité de constructeurs au sens de l’article 1792-4-3 du Code civil. Elle relevait donc de cet article, alors même qu’elle ne concernait pas un désordre affectant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination.

CE, 12 avr. 2022, n° 448946

Permis de Construire : le Conseil Constitutionnel valide les limitations au droit de recours des associations

Permis de construire, recours
Dans une décision QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité), le Conseil Constitutionnel, saisi par le Conseil d'Etat, confirme son interprétation de l'article L.600-1-1 du Code de l’urbanisme, modifié par la loi Elan du 23 novembre 2018.
Celui-ci fait partie des dispositions destinées à contrer les recours abusifs déposés, contre des autorisations d'urbanisme, par certains particuliers ou associations et qui se terminent parfois par des tentatives de chantage avec paiement contre retrait du recours.
L'article L.600-1-1 prévoit donc qu' « une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu au moins un an avant l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».
En l'espèce, le Conseil d'Etat avait saisi le Conseil Constitutionnel d'une QPC soulevée par l'association Le Sphinx. Celle-ci reprochait à l'article en question de priver les associations concernées de toute possibilité d'agir en justice pour défendre leur objet social, « alors même que leurs recours ne seraient ni dilatoires ni abusifs ». Il en résulterait ainsi une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif, une différence de traitement injustifiée entre associations, ainsi qu'une méconnaissance de la liberté d'association.

Dans sa décision, le Conseil Constitutionnel, qui avait déjà validé cette disposition dans le cadre de l'examen de la loi Elan, écarte ces arguments. Tout d'abord, il considère qu'à travers cette disposition, « le législateur a souhaité que les associations qui se créent aux seules fins de s'opposer à une décision individuelle d'occupation ou d'utilisation des sols ne puissent la contester. Il a ainsi entendu limiter les risques particuliers d'incertitude juridique qui pèsent sur ces décisions d'urbanisme et prévenir les recours abusifs et dilatoires ». Ensuite, les dispositions contestées restreignent le droit au recours des seules associations dont les statuts sont déposés moins d'un an avant l'affichage de la demande du pétitionnaire, ce qui laisse le champ libre au recours d'autres associations. Enfin, la restriction introduite par l'article L.600-1-1 se limite aux décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation des sols.
Dans ces conditions, les dispositions contestées « ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif ». Elles ne méconnaissent pas non plus la liberté d'association et le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Le Conseil Constitutionnel les déclare donc conformes à la Constitution.

CC, décision QPC n°2022-986 du 1er avr. 2022

Réception avec réserves : l'exécution des travaux par un tiers aux frais et risques du titulaire du contrat n'a pas à avoir lieu avant l'établissement du décompte général

Chantier, réception, réserves
Il est impératif pour le maître de l'ouvrage de répercuter les réserves dans le décompte lorsqu’elles n'ont pas été levées. Pour lui rendre cette tâche moins ardue, le Conseil d'État accepte désormais que ces réserves ne soient pas chiffrées, ce qu'a entériné le nouveau CCAG Travaux. Mais quel impact cela a-t-il sur le règlement du solde du marché ?

Pour rappel, si les travaux de reprise des réserves mentionnées dans le décompte n'ont pas été effectués par le titulaire dans le délai qui lui est imparti (fixé dans la décision de réception ou, en l'absence d'un tel délai, jusqu’à 3 mois avant l'expiration du délai de garantie), deux options s'offrent au maître de l'ouvrage :

  • faire exécuter les travaux par un tiers aux frais et risques de l'entrepreneur,
  • renoncer aux travaux et proposer à l'entrepreneur une réfaction sur le prix. Cela n'est cependant possible que si les imperfections constatées ne sont pas de nature à porter atteinte à la sécurité, au comportement ou à l'utilisation des ouvrages.

En l'espèce, le litige concernait un marché de travaux de réaménagement d'une grange en bibliothèque. Le maître de l'ouvrage avait prononcé la réception des travaux en l'assortissant de réserves concernant notamment la finition de l'enduit extérieur. Après avoir mis l'entrepreneur en demeure d'effectuer les travaux de reprise correspondants, l'acheteur public avait refusé de lever les réserves estimant que des malfaçons étaient toujours présentes et décidé de faire exécuter les travaux par un tiers aux frais et risques du titulaire du marché. Au moment de payer le solde du marché, il a déduit de cette somme le montant des travaux de finition de l'enduit. L'entreprise titulaire a alors saisi le Tribunal Administratif estimant qu'en l'absence de réalisation des travaux de réparation ou de marché de substitution, la somme en cause ne pouvait pas être mise à sa charge. Sa demande a été accueillie favorablement par le TA puis par la Cour Administrative d'Appel.
Le Conseil d'État, en revanche, n'est pas de cet avis. Il indique tout d'abord que s'il résulte des termes de l'article 41.6 du CCAG applicable aux marchés de travaux que le maître d'ouvrage peut faire exécuter aux frais et risques du titulaire les travaux ayant fait l'objet de réserves lors de la réception qui n'ont pas été levées dans le délai imparti au titulaire pour ce faire, il n'en résulte pas qu'il devrait le faire avant l'établissement du décompte général. Exiger du maître de l'ouvrage qu'il ait conclu le marché de substitution à cette date n'est aucunement imposé par le CCAG et serait même, comme le souligne le rapporteur public, irréaliste eu égard aux délais contraints dans lesquels le décompte doit être établi.

Dès lors, lorsque le maître d'ouvrage a chiffré le montant de ces réserves dans le décompte et que ce montant n'a fait l'objet d'aucune réclamation de la part du titulaire, le décompte devient définitif dans sa totalité et les sommes correspondant à ces réserves peuvent être déduites du solde du marché au titre des sommes dues au titulaire au cas où celui-ci n'aurait pas exécuté les travaux permettant la levée des réserves. Si les réserves n'ont pas été chiffrées, le décompte ne devient définitif que sur les éléments n'ayant pas fait l'objet de réserves.

CE, 28 mars 2022, n° 450477

ZAN et lutte contre l'artificialisation des sols : les deux premiers décrets publiés

Artificialisation, SRADDET, ZAN
Le premier décret fixe les conditions d'application du nouvel article L.101-2-1 du Code de l’urbanisme et en particulier l’établissement d’une nomenclature (dans le tableau ci-dessous) des surfaces artificialisées et non artificialisées en vue de permettre le suivi des objectifs de lutte contre ce phénomène dans les documents de planification régionale et d’urbanisme. Le texte précise tout d’abord qu'au regard des documents visés, seules les surfaces terrestres - soit jusqu'à la limite haute du rivage de la mer - sont concernées par le suivi de l'artificialisation nette des sols, définie comme le solde de l’artificialisation et de la renaturation des sols constatées sur le périmètre du document de planification ou d'urbanisme, et sur une période donnée.
Le ministère rappelle, entre autres, que le décret ne fixe plus en annexe les seuils de prise en compte des surfaces (en fonction de leur emprise au sol) qui seront ultérieurement déterminés par voie d’arrêté ministériel en référence aux standards du Conseil national de l’information géographique.

Catégories de surfaces


Surfaces artificialisées


1° Surfaces dont les sols sont imperméabilisés en raison du bâti (constructions, aménagements, ouvrages ou installations).


2° Surfaces dont les sols sont imperméabilisés en raison d'un revêtement (artificiel, asphalté, bétonné, couvert de pavés ou de dalles).


3° Surfaces partiellement ou totalement perméables dont les sols sont stabilisés et compactés ou recouverts de matériaux minéraux.


4° Surfaces partiellement ou totalement perméables dont les sols sont constitués de matériaux composites (couverture hétérogène et artificielle avec un mélange de matériaux non minéraux).


5° Surfaces à usage résidentiel, de production secondaire ou tertiaire, ou d'infrastructures notamment de transport ou de logistique, dont les sols sont couverts par une végétation herbacée, y compris si ces surfaces sont en chantier ou sont en état d'abandon.


Surfaces non artificialisées


6° Surfaces naturelles qui sont soit nues (sable, galets, rochers, pierres ou tout autre matériau minéral, y compris les surfaces d'activités extractives de matériaux en exploitation) soit couvertes en permanence d'eau, de neige ou de glace.


7° Surfaces à usage de cultures, qui sont végétalisées (agriculture, sylviculture) ou en eau (pêche, aquaculture, saliculture).


8° Surfaces naturelles ou végétalisées constituant un habitat naturel, qui n'entrent pas dans les catégories 5°, 6° et 7°.

Le deuxième décret est pris en application de l’article 194 de loi qui a prévu que les documents de planification régionale intègrent des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols, en particulier avec un objectif de réduction par tranche de dix ans. Un nouvel article R. 4251-3 du CGCT précise ainsi les déterminants pris en compte pour définir et décliner territorialement les objectifs du SRADDET en matière de gestion économe de l’espace et de lutte contre l’artificialisation des sols, tels que les besoins du territoire, son armature structurée autour des pôles urbains, du maillage des infrastructures et des enjeux de désenclavement rural ou encore les enjeux en matière de préservation de la biodiversité.

Le nouvel article R. 4251-8-1 garantit quant à lui la territorialisation et l’atteinte effective des objectifs de réduction, en particulier celui prévu pour la première tranche, via la détermination dans les règles générales d'une cible d'artificialisation nette des sols au moins par tranche de dix années. Le texte précise désormais explicitement que la déclinaison pourra se faire à l’échelle d’un ou plusieurs SCoT.
Le SRADDET peut par ailleurs comporter une liste de projets d'aménagements, d'infrastructures et d'équipements publics ou d'activités économiques d'intérêt général majeur et d'envergure nationale ou régionale, et dont « l'artificialisation induite sera décomptée au niveau régional et donc non décomptée directement au niveau des documents d'urbanisme infrarégionaux du territoire dans lequel ils se trouvent », précise la notice.

Un troisième décret - pris en application de l’article 206 de la loi - est attendu sur l’obligation pour les communes et les EPCI, dès lors que leur territoire est couvert par un document d’urbanisme, d’établir un rapport tous les trois ans sur le rythme de l’artificialisation des sols et le respect des objectifs déclinés au niveau local (article L.2231-1 du CGCT).

 décret n°2022-762 du 29 avr 2022 relatif aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires 

décret n°2022-763 du 29 avr 2022 relatif à la nomenclature de l'artificialisation des sols pour la fixation et le suivi des objectifs dans les documents de planification et d'urbanisme, J.O. du 30 avril 2022, textes n°61 et 62.

 

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