Veille juridique été 2022

Chaque mois, le CAUE vous propose une veille juridique dans ses domaines de compétences, architecture, urbanisme et environnement. Elaborée par le juriste et l'ingénieure écologue du CAUE, elle donne une vision des dernières évolutions en matière de réglementation.

 

 

Permis de Construire modificatif : une définition revisitée

Permis de Construire
La définition du permis modificatif (sur volonté du pétitionnaire) a connu au fil des années des évolutions. D'abord entendu comme le permis qui consacrait des modifications « sans influence sur la conception générale du projet initial » (Conseil d'Etat du 26 juillet 1982, n°23604), cette référence, à la conception générale du projet, s'est maintenue pendant de longues années, à quelques adaptations près, le juge veillant à ce que les modifications autorisées n'atteignent « ni la conception générale du projet, ni l'implantation des bâtiments, ni leur hauteur » (Conseil d’Etat, 21 décembre 2001, n°211663). En 2015, la jurisprudence semblait abandonner les critères d'implantation et de hauteur, pour revenir au critère de l'atteinte à la conception générale à raison de la nature ou de l'ampleur des modifications apportées (Conseil d'État, 1er octobre 2015, n°374338).

Or, le permis modificatif intervenant dans le cadre d'une demande de régularisation par le juge conférait au pétitionnaire une plus grande marge de manœuvre, ce que révèle la formulation plus large adoptée par la jurisprudence dans ce cas : « un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé en vertu de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même » (Conseil d'État, 17 mars 2021, n°436073).

Par une décision récente, le Conseil d'Etat a désormais unifié l'ensemble, en précisant que le permis modificatif sur demande « spontanée » peut désormais être délivré pour autant que les modifications envisagées ne bouleversent pas le projet au point d'en changer la nature même : « l'autorité compétente, saisie d'une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d'un Permis de Construire en cours de validité un permis modificatif, tant que la construction que ce permis autorise n'est pas achevée, dès lors que les modifications envisagées n'apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même » (Conseil d'État, 26/07/2022, n°437765).

Selon les conclusions du rapporteur public, la vigilance reste tout de même de mise, notamment dans l’appréhension de la notion par les services instructeurs. « Il est vrai que la tâche des services instructeurs pourrait s’avérer plus délicate lorsqu’il s’agira, face à une demande de permis modificatif revoyant de fond en comble le projet, de faire la part des changements intervenus par rapport au permis initial, là où la règle actuelle impose en pareil cas le dépôt d’un nouveau dossier complet, plus aisé à appréhender. »

Conseil d'Etat 26 juil. 2022, N°437765

Lotissement : pas de démolition systématique en cas de violation du cahier des charges

Lotissement, recours
Selon une jurisprudence constante, toute violation des dispositions du cahier des charges d’un lotissement constitue un manquement contractuel qui doit être sanctionné, même si elle n’occasionne aucun préjudice pour les colotis. A ce titre, les colotis sont recevables à exercer une action tendant à la démolition des ouvrages réalisés en contravention des stipulations contractuelles.
Toutefois, la démolition n’en constitue pas l’issue inéluctable, même en cas de manquement dûment constaté par le juge civil. Dans cet arrêt récent, la Cour de cassation précise, en effet, qu’une telle demande doit être rejetée lorsqu’elle est manifestement excessive et qu’une sanction pécuniaire apparaît plus appropriée.

En l’espèce, une SCI s’était portée acquéreur d’un lot situé dans un lotissement constitué de maisons d’habitation. Après avoir démoli la villa qui s’y dressait, elle avait fait construire un bâtiment comprenant plusieurs logements et garages. Invoquant une méconnaissance des règles d’implantation définies par le cahier des charges du lotissement, les propriétaires d’un lot voisin avaient assigné la société aux fins d’obtenir, à titre principal, la démolition des ouvrages et le versement de dommages-intérêts à titre subsidiaire.

Après avoir relevé que les constructions litigieuses méconnaissaient bel et bien les stipulations du cahier des charges, la cour d’appel a constaté que lesdites constructions ne suscitaient aucun préjudice véritable, n’occasionnant notamment ni perte de vue, ni vis-à-vis, si ce n’est la présence dans le voisinage immédiat des colotis d’un immeuble collectif. Dans ces conditions, elle avait rejeté la demande de démolition et sanctionné le manquement de la SCI à ses obligations contractuelles par l’allocation de dommages-intérêts. N’ayant pas obtenu satisfaction, les demandeurs se sont pourvus en cassation.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette ce pourvoi et confirme la décision rendue par les juges du fond. Elle estime que les juges d’appel n’étaient pas tenus d’ordonner la destruction au seul motif que le cahier des charges avait été méconnu et qu’ils ont légitimement pu procéder à un contrôle de proportionnalité de la démolition demandée. Cet examen ayant mis en évidence le déséquilibre entre le coût de la démolition pour la SCI et son intérêt pour les demandeurs, elle considère que la cour d’appel avait parfaitement la possibilité de rejeter, pour ce seul motif, la demande principale et de privilégier l’octroi de dommages-intérêts.

C.Cass. 3e civ., 13 juil. 2022, n° 21-16.407, n° 568 FS-B 

Architectes : la clause de conciliation ne s'applique toujours pas aux désordres décennaux

Contrats, garantie décennale
En pratique, le cahier des clauses générales du contrat d’architecte prévoit la saisine préalable du Conseil Régional de l’Ordre (CROA) dont relève l’architecte avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire. Le non-respect de cette clause est susceptible d’entraîner l’irrecevabilité de l’action engagée, irrecevabilité qui n’est pas susceptible d’être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d’instance. Toutefois, la Cour de cassation encadre les conditions d’application de la clause qui ne peut porter que sur les engagements des parties qui font la force obligatoire du contrat, au sens de l’article 1103 du Code civil.

Dans la lignée d’une jurisprudence bien établie, la Haute juridiction rappelle que la clause n’a pas vocation à s’appliquer lorsque la responsabilité de l’architecte est recherchée sur le fondement décennal même à titre subsidiaire.

En l’espèce, un maître de l’ouvrage qui avait entrepris de faire rénover une maison, avait confié la mission de maîtrise d’œuvre à un architecte. Se plaignant de désordres après réception des travaux, il avait assigné l’architecte en indemnisation de son préjudice. Les juges d’appel avaient rejeté sa demande comme irrecevable, au motif que le maître d’ouvrage n’avait pas mis en œuvre la clause de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge prévue dans le contrat conclu avec l’architecte.

L’arrêt est censuré pour violation de l’article 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l’article 1792 du Code civil. La troisième chambre civile reproche à la cour d’appel d’avoir statué de la sorte alors qu’il résultait de ses propres constatations que le maître de l’ouvrage demandait la réparation de désordres sur le fondement, notamment, de l’article 1792 du Code civil, ce qui empêchait toute application de la clause.

C. Cass. 3e civ., 11 mai 2022, n° 21-16.023, n° 381 FS-B

Quand le nouveau propriétaire découvre le trouble de voisinage causé par l'immeuble acquis

Recours, troubles de voisinage
L’action en responsabilité pour trouble anormal de voisinage ne nécessite pas la démonstration d’une faute mais seulement celle d’un trouble excédant les inconvénients ordinaires (ou normaux) de voisinage. La Cour de cassation, pour fonder ses arrêts en la matière, vise uniquement le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Il s’agit d’une action en responsabilité civile extracontractuelle, qui peut être dirigée contre tout voisin auteur des nuisances, quel que soit son titre d’occupation. A ce titre, la Cour de cassation a déjà admis la responsabilité de plein droit d’un syndicat de copropriété, propriétaire actuel des biens où ont eu lieu les travaux et de l’entrepreneur, auteur de ces travaux à l’origine des dommages ayant causé un trouble anormal de voisinage.
Dans la droite ligne de cette jurisprudence, elle approuve un arrêt d’appel ayant retenu sur ce fondement la responsabilité de l’acquéreur d’un pavillon, même s’il n’était pas propriétaire de l’immeuble à l’origine des infiltrations au moment où elles avaient commencé à se manifester.

Dans cette affaire, à la suite d’infiltrations provenant du réseau des canalisations enterrées de la propriété voisine, l’occupante d’un pavillon avait assigné ses voisins, nouvellement propriétaires, ainsi que leurs vendeurs en responsabilité sur le fondement des troubles anormaux du voisinage et sollicité la réalisation de travaux et l’allocation de dommages et intérêts. Les assureurs concernés avaient été également mis en cause. Seuls condamnés, les acquéreurs avaient formé un pourvoi dans lequel ils avaient fait valoir que les anciens propriétaires devaient également assumer en partie le dommage causé par les désordres liés aux conduites fuyardes qui remontaient déjà à plusieurs années.

La Cour de cassation rejette le moyen ainsi invoqué comme dépourvu de fondement. Elle rappelle que l’action fondée sur un trouble anormal de voisinage est une action en responsabilité civile extracontractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble, responsable de plein droit. Dès lors que le trouble subsistait au moment de la vente, la cour d’appel en a exactement déduit que la responsabilité de l’acquéreur devait être retenue, même s’il n’était pas propriétaire du fonds au moment où les infiltrations avaient commencé à se produire.

Le propriétaire poursuivi peut se retourner contre son vendeur en sollicitant, par exemple, l’annulation de la vente pour dol si le vendeur lui a sciemment dissimulé la situation ou mettre en œuvre la garantie des vices cachés afin d’obtenir la réduction du prix ou la résolution de la vente.

C. Cass. 3e civ., 16 mars 2022, n° 18-23.954, n° 248 FS-B  

Pour le juge, les STECAL doivent rester exceptionnels en nombre

PLU, planification
Un préfet a demandé au Tribunal Administratif d’annuler la délibération par laquelle le conseil d’une communauté d’agglomération a approuvé un PLUi. C’est notamment le sujet des Secteurs de Taille Et de Capacité d’Accueil Limitées (STECAL) qui a posé question. L’article L.151-13 du Code de l’urbanisme dispose notamment que « leur caractère exceptionnel s’apprécie, entre autres critères, en fonction des caractéristiques du territoire, du type d’urbanisation du secteur, de la distance entre les constructions ou de la desserte par les réseaux ou par les équipements collectifs ».

Or, pour le juge, s’il appartient aux auteurs d’un PLU de déterminer le parti d’aménagement à retenir pour le territoire concerné par le plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d’avenir, et de fixer en conséquence le zonage et les possibilités de construction, il résulte tant des travaux parlementaires ayant précédé l’adoption de cette disposition que de ses termes mêmes que la création d’un STECAL doit présenter un caractère exceptionnel, de manière à éviter le mitage des espaces naturels.
Ici, le règlement du PLUi prévoit la création de 51 STECAL. Le rapport de présentation énonce que la création de ces STECAL répond au choix des auteurs du PLUi de prendre en compte le tissu local de petites et moyennes entreprises, de respecter la dynamique du monde rural et de permettre aux entreprises existantes de poursuivre leur activité sur leur site initial sous réserve de ne pas gêner l’activité agricole et la proximité éventuelle de l’habitat. D’après les documents graphiques, le périmètre de chaque STECAL est limité aux alentours des bâtiments existants.

La communauté d’agglomération fait valoir que ces STECAL sont créés pour permettre le développement d’entreprises existantes qui sont localisées dans l’espace rural en dehors des zones d’activité. Cependant, en dépit de la taille limitée de chaque STECAL, en raison du nombre important de ces derniers et du risque de mitage, les dispositions de l’article L. 151-13 ont été, pour le juge, méconnues.

De plus, le PADD fixe également un seuil de 50 nouveaux hectares d’espaces dédiés aux activités économiques, mais ce seuil est en fait largement dépassé par le PLUi qui atteint 90 hectares : la collectivité n’est pas fondée à soutenir que les STECAL doivent être exclus de cette estimation car ils n’offriraient que des possibilités d’extension d’activité artisanale très mesurée, alors qu’il ressort des pièces du dossier que 27.62 ha des 36.31 ha de leur surface ne sont pas bâtis.

CAA de Nantes, 22 juil. 2022, req. n°21NT01107

Panneaux photovoltaïques incorporés à la toiture et garantie décennale

Garanties, assurances
Dans cette affaire, le maître d’ouvrage avait exercé un recours à l’encontre du fournisseur et installateur de panneaux photovoltaïques et du locateur d’ouvrage qui était en charge de la réparation de la toiture, en invoquant notamment que les panneaux présentaient des défaillances avec risque d'échauffement pouvant conduire à un incendie.
Au soutien de son action judiciaire, le maître d’ouvrage invoquait la garantie décennale des constructeurs en faisait valoir à l’appui du rapport d’expertise déposé, que les panneaux photovoltaïques étaient intégrés à la toiture et faisaient partie intégrante de l’ouvrage dont ils constituaient le clos.

Dans ce prolongement, la Cour d’Appel de Nîmes déduit des conclusions de l'expert judiciaire que les désordres énoncés relèvent de la garantie décennale de l'article 1792 du Code civil.

Cour d’Appel de NIMES, 4 août 2022, n° 21/00802

 

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